Voici un article que Dominique a préparé pour le bulletin paroissial de Guebwiller.
Anne-Christine, notre Sœur…
« Dans la grisaille me sourit le soleil à venir.
C’est comme les étoiles ; on sait qu’elles sont là… » (SMS du 4.2.17)
C’est peu dire que de souligner sa fidélité en amitié, et elle n’avait pas oublié Guebwiller, et nous étions quelques-uns à ses funérailles, à la maison-mère de sa congrégation, à Oberbronn, le 20 mars dernier. Elle comptait avec son cœur, et considérer chaque personne avec bienveillance était au centre de sa personnalité.
Sur un coteau de Niederbronn, il est un petit cimetière étagé comme une vigne et la place tout en haut, où elle repose, grain de blé tombé en terre, en fait pour nous un lieu de mémoire.
« Comme il nous est difficile de la laisser partir », reconnaissait le célébrant, et Etienne, l’un de ses jeunes amis, qui était venu de loin, disait en confiance combien elle lui manquerait comme source de compagnonnage et d’inspiration.
Elle aura passé trois ans à Guebwiller, où chacun se souvient de son abord affable, toujours souriant et positif… Elle s’était engagée avec détermination dans la vie paroissiale, fourmillant d’idées, acceptant de nombreux services, notamment auprès des jeunes, dont deux représentantes étaient là aussi, à ses funérailles.
« Mais enfin, quand on est responsable, on ne se dérobe pas… »
Ce mot de « responsable » avait un écho très puissant en elle ;
elle se voulait mandatée, dans toute sa vie, de manière exigeante et joyeuse, et malgré la fatigue, elle s’imposera jusqu’à la fin de sa vie un rythme soutenu.
Dans ses engagements, elle trouvait des amis, qui la faisaient vibrer collectivement dans la grande aventure de la spiritualité chrétienne.
Un jour, à Clairvaux, comme elle aimait à le faire, elle avait mené un groupe jusqu’à la source St Bernard. Ce jour-là, la source était tarie, et ce fut pour elle une grande déception. C’est qu’elle investissait sur les lieux-source, qui évoquaient pour elle la permanence et le renouvellement de la foi, comme la possibilité gratuitement donnée de trouver à étancher la soif de vie.
Savait-elle que sa présence offrait un de ces lieux de ressourcement ? Laissons la parole à Etienne, qui se souvient.
« Je devais avoir vers les 10 ans, à ma première rencontre avec sœur Anne Christine. J’étais un jeune garçon qui n’écoutait en rien, mais avec elle une affinité spontanée naquit du départ.
Je me rendais à Clairvaux avec mes parents de façon régulière, pour aider les sœurs à couper le bois, apporter des patates que l’on ramassait dans les champs, mes parents, mes sœurs et mon frère.
Les souvenirs les plus forts que je garde de tout cela sont les longues promenades en forêt ou on longeait les murs de la prison, direction la forêt, et nous voilà pour une après-midi de promenade.
Mais comment citer la forêt sans parler de son parterre de jonquilles où nous nous rendions à la fin à l’abbaye. Les années passèrent mais nous gardions toujours ce lien que je ne pourrais expliquer : je l’écoutais. J’ai appris plus tard qu’elle partait retourner à Strasbourg, je me rendis la voir. Je me souviens bien de cette rencontre. Nous avons visité la ville ensemble, et c’est là que je me suis vraiment rendu compte de sa bonté. N’importe quelle personne semblait s’illuminer après lui avoir parlé, comme une bougie qui est sur le point de s’éteindre mais qui redevient vive en sa présence. Quand on se voyait, elle me disait toujours : « tu sais, Etienne, j’ai toujours ta photo, de toi en aube de communiant, et je prie tous les jours pour toi. »
Par le tranquille exemple de sa vie chrétienne, surtout dans les dernières années, où elle avait trouvé auprès des gens pauvres la simplicité de cœur qu’elle recherchait, elle parvenait à rayonner d’une certitude réellement rafraîchissante. Elle savait se décentrer d’elle-même avec simplicité, et se pencher toute entière vers la personne qu’elle rencontrait.
Comme religieuse, elle avait fait tous les métiers qui rassemblent : d’abord éducatrice, puis formatrice et directrice du centre de formation des Educateurs, elle avait contribué à la naissance du
métier d’Educateur des Jeunes Enfants, puis milité pour la création de l’ « Atelier de la Vie ». Cette institution, où elle a laissé sa marque, continue son chemin, ainsi qu’un témoignage poignant l’a souligné.
Provinciale pendant neuf ans, elle était attentive aux qualités des personnes. Un jour, rentrant de Taizé, un groupe de profession de foi avait visité avec elle la salle des Hospices de Beaune. Elle y avait rendu un vibrant hommage au dévouement des générations de religieuses anonymes ayant donné là le meilleur d’elles-mêmes. Une autre fois, lors d’une retraite de caté, aux Trois Epis, elle s’était trouvée au milieu d’un rassemblement de religieuses, et la considération avec laquelle elle souriait à chacune en disait long sur le sentiment de ces femmes de former comme une famille invisible qui vit dans l’estime du service rendu.
Trois mandats successifs de provinciale, lorsque c’est la somme des défis antérieurs relevés avec compétence, et une étonnante force de travail, qui vous propulsent à ces fonctions, cela appelle un dévouement d’autant plus conséquent qu’il est semé d’embûches…
Un jour, à Clairvaux, elle confiait combien la fréquentation des humbles opérait en elle comme une clarification, comme une ascèse indirecte, et facilitant les relations franches, dénuées d’arrière-pensées.
Au terme des dix années passées là-bas, au creuset d’une vie paroissiale limitée et des besoins des familles des prisonniers, elle touchait au cœur du charisme de la fondatrice de son ordre.
A la fin de son mandat, elle avait commencé à rassembler de la documentation, pour permettre aux diverses provinces internationales, bousculées par l’Histoire, de fusionner à nouveau.
Chaque soir, sur son lit d’hôpital, durant les dernières semaines de sa vie, dans sa prière, elle nommait les gens de la rue, pour qui elle avait inventé, revenue à Strasbourg, un vestiaire et une halte, qui continuent à fonctionner.
Elle savait réinterpréter la détresse, et même enrichir des remarques anodines, pour renforcer chez l’être en désarroi, la confiance et goût pour la vie. Leur témoignage d’attachement, lors de la messe des funérailles, montrait comme ils se sentaient rejoints par elle.
A saint Damien, entourée par les membres de sa famille, elle réussissait, malgré sa faiblesse, à maintenir une grande qualité de dialogue avec ses visiteurs, et elle continuait à conseiller avec
justesse et à accompagner chacun de son mieux.
Voici un message, de la fin janvier, qui montre combien elle a goûté, jusqu’à l’extrême limite, la joie de vivre dans la simplicité :
« Les branches jouent avec le vent. Si j’étais un oiseau, je les rejoindrais. Ça va mieux ».
La célébration de ses funérailles, ce n’était pas que de la vulnérabilité habillée de poésie. Le cercueil posé à même le sol devant l’autel, les paroles de la messe et l’homélie, très soigneusement pesées par le célébrant, l’ampleur des chants, permettaient l’union des cœurs autant que des sensibilités. Dès le chant d’entrée : « si le Père vous appelle… », on était au cœur du message.
Des appels, Sœur Anne-Christine en avait reçu beaucoup, par le biais des responsables de la congrégation, qui lui avaient confié ces dernières années la charge de la communauté de formation initiale, à Strasbourg, puis, très rapidement, celle d’assistante provinciale à Villers les Nancy.
Devant le dénuement des personnes de Clairvaux, elle avait dit un jour aux sœurs qui étaient avec elles : « nous sommes leurs sœurs ».
C’est le consentement intérieur à cette sororité essentielle, qui dépasse le cadre familial, tout en devenant un art de vivre qui engage toute la personne, dont notre sœur Anne Christine nous a donné l’exemple, et nous nous réjouissons de faire partie de cette famille-là, et nous lui en savons gré.
Très bel article qui la représente tellement bien. Je n’ai pas vu énormément la SAC mais elle m’a laissé une sensation très forte. Elle avait toujours un mot gentil et se préoccupait de ce qui se passait pour les autres avec une réelle sincérité un toujours un beau sourire et sa voix douce.
Je me souviens bien d’une ballade en forêt à Clairvaux avec elle. Elle m’avait racontée comment elle avait du commencer ses études par une année d’infirmière en usine et ce que ça lui avait apporté. Elle était une magnifique personne qui a vécue ses valeurs avec conviction, douceur et gentillesse. Elle fait partie de ses personnes discrètes qui ont changé le monde.